Françoise Hardy est décédée le 11 juin dernier. Pour rendre hommage à cette artiste iconique, replongeons-nous dans un entretien paru en 2004 dans le numéro 468 des « Inrocks ».
Françoise Hardy, connue pour sa voix exceptionnelle, est également une grande bavarde. Dans cet entretien, elle évoque des sujets variés tels que Carla Bruni, Dani, David Bowie, Nick Drake, Blur, Benjamin Biolay, Keren Ann, et bien d’autres.
Avec un rythme de sortie d’album tous les quatre ans, Françoise Hardy maintient une cadence à la fois tranquille et soutenue. Son album « Tant de belles choses » (2004) est salué pour son aspect introspectif et habité, porté par sa voix unique et fragile. L’album, entouré de divers collaborateurs tels qu’Alain Lubrano, Thomas Dutronc, Benjamin Biolay, et d’autres, présente une belle unité dans son écriture poignante.
Lors de l’interview, Françoise Hardy revient sur le processus de création de cet album. Elle explique qu’elle préfère désormais choisir les meilleures compositions de divers collaborateurs pour offrir une variété de styles musicaux dans ses albums. Elle reçoit de nombreuses mélodies, tant de la part d’artistes confirmés que d’inconnus, et fait des choix en fonction de la qualité mélodique et de la structure des chansons.
Françoise Hardy reste toujours à l’affût des nouveautés en matière de songwriting, bien que son écoute soit un peu moins assidue qu’auparavant. Elle évoque des découvertes musicales marquantes et les collaborations qui ont enrichi son parcours artistique. Son souci de qualité et d’originalité transparaît à travers ses choix musicaux et ses collaborations. Jusqu’à présent, notre seul moyen de communication a été par e-mail ; il est charmant, avec une écriture très particulière, mais je ne l’ai pas encore rencontré en personne.
Et Perry Blake, comment l’avez-vous rencontré ?
J’avais lu dans une interview qu’il aimerait travailler avec moi, mais que, malheureusement, j’avais déjà collaboré avec Blur, ce qui semblait être une grande infamie pour lui [rires]. Un ami m’a emmené à sa Black Session et, sachant qu’il me connaissait, je suis allé le saluer à la fin du concert…
Au fil des albums, à travers tous les textes que vous avez écrits, avez-vous l’impression de poursuivre une autobiographie ?
Oui, tout à fait. Je ne pourrais pas faire autrement. C’est le cas de nombreux chanteurs qui écrivent leurs textes. Il suffit d’écouter les chansons de Véronique Sanson pour savoir où elle en est dans sa vie personnelle. Peut-être moins sur le dernier album, et d’ailleurs je regrette qu’elle écrive moins ses textes elle-même aujourd’hui. Mais une chanson comme « Mortelles pensées » (1988) est un chef-d’œuvre. Elle parvient à condenser tout ce qui a été important dans sa vie amoureuse en quelques minutes, c’est magnifique. Pour ma part, je sais que j’ai un petit filon, je peux parler de petites choses, de mon intériorité. À mon âge, en plus, on a moins envie de parler de passions amoureuses, de certains sentiments, de douleurs très vives… En revanche, une chanson marquée par une certaine forme de spiritualité, comme « Tant de belles choses », je n’aurais pas pu l’écrire à 30 ans, à moins d’avoir été très malade. Il faut avoir ressenti une menace de mort pour parler de ce dont elle parle.
Dans vos trois derniers albums, la métaphore du soir, pour exprimer l’apaisement lié à l’âge, revient fréquemment.
C’est vrai qu’avec l’âge, un détachement se produit. D’autres angoisses, d’autres soucis apparaissent, mais on se sent enfin libéré de la possessivité, de la jalousie, de la passion, de toutes ces choses qui font souffrir. L’autre ne devient pas indifférent, mais la relation s’apaise, c’est vrai.
Vous semblez ne pas accorder une grande importance à votre beauté d’icône des années 60. Vous ne semblez pas avoir lutté pour préserver cette image contre le temps qui passe…
Cela peut sembler ainsi. Mais en réalité, j’ai toujours été mal à l’aise avec tout ce qui concerne la représentation. Je suis tout le contraire d’une séductrice… Je suis le contraire de Carla Bruni, si vous voulez [rires]. Je dis cela parce que je l’ai vue à la télévision exactement coiffée comme moi, avec une guitare, des pattes d’éléphant… J’ai cru me voir il y a trente ans. Sauf qu’elle, elle en fait un élément de séduction. D’autre part, elle a un timbre de voix vraiment original, ses textes sont remarquables. J’aime un peu moins ses musiques. Si on me propose des mélodies comme ça, je ne les prends pas. Mais l’ensemble est très cohérent et plein de charme. Mais c’est sûr que je préfère Keren Ann. Le premier morceau de son nouvel album, « Que n’ai-je ? », est une vraie splendeur mélodique.
Paris Match s’apprête à reproduire la photo légendaire de Salut les copains avec tous les chanteurs yé-yé, mais avec les représentants de la chanson française d’aujourd’hui. Pensez-vous qu’il y ait des similitudes entre ces deux générations ?
Non, je ne pense pas. L’époque a beaucoup changé. Les artistes les plus intéressants sont devenus plus pointus, moins populaires, comme Benjamin Biolay, Keren Ann… Sinon, la variété est beaucoup plus bon marché. Nous assistons au règne de mélodies ultrafabriquées, comme celles des artistes de la Star Ac’. Les yé-yé avaient accès à des compositions et productions beaucoup plus sophistiquées. La qualité mélodique était supérieure, et même chez les artistes les plus fabriqués, il y avait une fraîcheur, une sincérité en phase avec les transformations de la société des années 1960. Quant à ce qu’on appelle aujourd’hui la nouvelle chanson française, je la trouve souvent trop française justement [rires]. C’est affreux à dire, mais Vincent Delerm est trop français, Bénabar trop français. De temps en temps, je suis très touchée par une chanson, comme « Parce qu’on vient de loin » de Corneille. C’est très puissant. J’aime bien Mickey 3D. Il m’a envoyé des chansons un peu dans l’esprit de ce qu’il a fait pour Jane. Ce n’est pas assez musical pour moi. Ce n’est pas ma tasse de thé. Alors que « Respire » était vraiment un tube parfait. Pierre Bondu écrit de très bonnes chansons. Et j’aime bien Tété.
La reconnaissance de la scène pop française des années 1960, de France Gall à Gainsbourg, s’accélère à l’étranger. Comment le vivez-vous ?
J’ai été assez connue internationalement très tôt. Mais souvent pour des raisons superficielles. David Bowie a souvent parlé de moi en interview, mais je pense que c’était mon allure, mon visage, qui lui plaisaient, les photos… et qu’il n’a jamais écouté mes chansons. Et heureusement ! Il n’en avait pas besoin [rires] ; il vaut mieux que moi, j’écoute les siennes. Mais cela me fait plaisir quand Perry Blake ou Suzanne Vega me connaissent parce qu’ils aiment La Question (1972), l’un de mes albums les plus aboutis, mais qui n’a pas du tout marché. Aujourd’hui, beaucoup de gens m’en parlent. Récemment encore, Philippe Katerine en faisait mention. J’ai essayé de rassurer Ben Christophers à propos de My Beautiful Demon, qui n’a pas non plus marché, en lui disant que cette chanson est tellement belle qu’un jour on la reprendra, qu’il est impossible qu’elle reste dans l’obscurité.
L’échec ou le succès vous préoccupent-ils encore aujourd’hui ?
Peut-être un peu plus aujourd’hui. J’ai été blessée par l’échec commercial de Danger (1996), parce que j’avais travaillé avec des personnes plus jeunes que moi, comme Alain Lubrano ou Rodolphe Burger, et je me sentais redevable. J’avais envie que ça fonctionne pour eux. L’album suivant, Clair-obscur, a marché. De toute façon, j’ai longtemps eu l’impression d’être un peu la danseuse d’Emmanuel de Buretel. Je regrette beaucoup que Virgin l’ait licencié. Aujourd’hui, on me met un peu la pression pour faire de la promotion, aller à la Star Ac’, mais on ne me parle pas trop de chiffres, d’objectifs de vente.
Avez-vous accepté la Star Ac’ ?
J’ai refusé, mais pas pour des questions d’éthique. Ne possédant pas les qualités vocales de Lara Fabian, je ne pense pas avoir beaucoup à gagner en participant à ce type d’émission en direct. Je préfère me concentrer sur des talk-shows comme ceux de Paul Amar et Thierry Ardisson. J’ai regardé la Star Ac’ parce que je suis amie depuis longtemps avec Armande Altaï, et c’était incroyable de la voir là !
J’ai participé au Petit Conservatoire de Mireille, qui était un peu l’équivalent de la Star Ac’ de l’ORTF en France. Mireille était une grande artiste qui aimait les talents originaux. Pour moi, chanter n’a jamais été facile. J’adore être en studio, mais l’enregistrement est une épreuve terrible.
Contrairement à Jacques Dutronc, je n’ai pas poursuivi de carrière au cinéma et je n’en ressens aucun regret. Je ne suis pas à l’aise avec la représentation. J’ai fait quelques films très jeunes avec Vadim, mais je n’ai jamais été satisfaite du résultat.
J’ai beaucoup aimé l’album de Muse l’année dernière et j’ai récemment eu un coup de cœur pour la chanson « The Closest Thing to Crazy » de Katie Melua. J’ai été proche de Nick Drake et j’ai des souvenirs de lui, mais je me demande parfois s’il était attiré par moi.
J’ai toujours été sensible au travail des autres, même les plus underground. Ma première vocation était de devenir programmatrice à l’âge de 16 ans, et j’ai toujours eu envie de découvrir et faire connaître de nouveaux talents.
Mon parcours peut sembler calme par rapport à d’autres icônes des sixties comme Dani ou Zouzou, qui étaient de véritables aventurières. Je n’ai jamais été le symbole du combat féministe, mais je l’ai vécu à ma manière, en utilisant la contraception et en ayant recours à l’IVG sans états d’âme. Françoise Hardy, une icône de la chanson française, exprime son regret de ne pas être plus sollicitée pour signer des pétitions en faveur de causes qui lui tiennent à cœur. Bien qu’elle se sente proche de certaines luttes, comme celle du peuple palestinien ou des Tchétchènes défendue par Jane, elle préfère souvent rester en retrait par peur de paraître ignorante sur certains sujets. Dans une interview avec Jean-Marc Lalanne et Christophe Conte, elle évoque son nouvel album « Tant de belles choses » et partage son point de vue sur son implication dans le débat public. Malgré son désir de s’engager davantage, Françoise Hardy se montre réservée et préfère laisser la parole à ceux qui se sentent plus à l’aise pour défendre ces causes.