Thurston Moore réside à Londres depuis maintenant 11 ans. Face à la gentrification croissante des quartiers centraux de la ville, il a récemment déménagé loin du quartier de Dalston, où il fréquentait le Café OTO, un lieu phare de la musique d’improvisation. Cette décision ne le dérange pas, car il affirme ne plus ressentir le besoin viscéral de fréquenter les lieux culturels. C’est en Suisse, dans un cadre verdoyant, qu’il a commencé à travailler sur son nouvel album solo, intitulé « Flow Critical Lucidity », qui sortira ce vendredi 20 septembre.
Cet album, coécrit avec Radieux Radio (son épouse), est une fusion de guitares trafiquées, de digressions kraut et d’échos mystiques des Stooges, avec la participation de fidèles collaborateurs et de la chanteuse Lætitia Sadier en tant qu’invitée spéciale. Il offre un aperçu des obsessions rock et expérimentales du musicien.
Thurston Moore, heureux de s’entretenir avec Les Inrocks, a accordé une interview approfondie pour discuter de ses mémoires publiées l’année précédente, de Juliette Gréco, de l’héritage de Sonic Youth, de William S. Burroughs, de l’écriture, de la jeunesse, de la vieillesse, et plus encore.
Le musicien explique qu’il a choisi de s’installer à Londres pour des raisons pratiques, notamment la proximité avec Paris et la facilité de voyager en Europe sans avoir à traverser l’océan. Il évoque également son désir de fuir le climat politique et social des États-Unis, trouvant l’Angleterre plus accueillante. Cependant, il reste attaché à son pays d’origine en tant que citoyen américain.
Thurston Moore revient sur son expérience au Café OTO, qu’il fréquentait régulièrement avant de déménager plus loin. Il explique qu’après des années passées à baigner dans l’art et la musique, il ressent moins le besoin de fréquenter des lieux culturels et préfère se concentrer sur l’écriture, la lecture et l’enregistrement de musique avec son groupe.
Concernant son nouvel album, il révèle l’avoir écrit en Suisse, dans une résidence d’artistes appelée La Becque, avant de l’enregistrer à Londres. Il souligne l’importance du lieu de création, tout en affirmant qu’il peut travailler n’importe où, s’inspirant de la philosophie de l’écrivain William S. Burroughs qui affirmait que l’écriture peut se faire partout.
Thurston Moore conclut en expliquant que le lieu d’enregistrement peut influencer la musique, mais que Sonic Youth aurait sonné différemment même s’ils avaient vécu ailleurs. Le son d’un groupe est souvent lié à son environnement, mais la créativité peut fleurir n’importe où.
Ces considérations sont en fait peu importantes.
En ce qui concerne Paris, j’ai joué et enregistré un album intitulé « Offerings » (2016) dans les studios Red Bull avec l’ingénieur du son Thibaut Javoy. J’ai également été en résidence au Louvre cette même année, où j’ai joué avec des artistes tels que Stephen O’Malley et Irmin Schmidt de Can.
J’ai eu la chance de rencontrer Juliette Gréco lors d’une performance au Louvre, et j’ai été impressionné par sa gentillesse. Concernant mon nouvel album, j’ai collaboré avec Lætitia Sadier sur la chanson « Sans limites ». Lætitia ne chante que quelques secondes sur la chanson, mais sa voix apporte une touche spéciale.
Beaucoup de jeunes musiciens citent Stereolab et Sonic Youth plutôt que les Rolling Stones, ce qui peut s’expliquer par l’aspect provocateur et radical de la musique des années 1990. En ce qui concerne Sonic Youth, nous étions plus expérimentaux que certains groupes plus populaires de l’époque tels que Nick Cave and The Bad Seeds.
Mon nouvel album, « Flow Critical Lucidity », est influencé par des groupes tels que Can, Stereolab et The Stooges. The Stooges, en particulier, était un groupe fondamental pour moi en raison de leur approche expérimentale du rock. Lors de mon arrivée à New York dans les années 1970, j’ai été inspiré par le mélange entre la scène artistique et le rock’n’roll, ce qui a influencé mon approche musicale avec Sonic Youth.
Aujourd’hui, mon approche de la musique est toujours influencée par ce croisement entre l’expérimental et le rock’n’roll, ce qui peut parfois me faire me sentir seul dans le monde de la musique. Lorsque je compose de la musique, j’ai besoin que les deux approches coexistent pour avoir le sentiment d’avoir créé quelque chose d’inventif.
Beaucoup des textes de mon album sont coécrits par Radieux Radio, qui n’est autre que ma femme, Eva Prinz. Pour moi, collaborer à l’écriture est important. J’ai toujours encouragé la collaboration car je ne suis pas intéressé par l’idée de créer une œuvre qui ne serait que de moi. Intégrer ses textes dans mon travail apporte une voix supplémentaire au groupe, une voix féminine. J’écris encore beaucoup, mais j’ai l’habitude d’enregistrer la musique avant d’avoir les paroles et de les chanter. Les paroles arrivent en dernier. C’est ainsi que nous avons toujours travaillé avec Sonic Youth.
Mon engagement dans la scène musicale ne va pas nécessairement de pair avec un engagement politique et contestataire. Ma forme d’expression musicale transcende plutôt ces considérations politiques, même si j’apprécie les paroles à tendance politique. S’impliquer dans une communauté d’artistes, dans une scène ou dans un groupe, implique des discussions et des échanges, ce qui est nécessairement politique.
Mon dernier album s’ouvre sur une chanson intitulée « New In Town », qui parle de la première génération de la scène hardcore. J’ai assisté à ces concerts de hardcore en étant plus âgé, et j’ai vu ces jeunes créer une communauté qui prônait un mode de vie alternatif basé sur le respect de soi et des autres.
L’année dernière, j’ai sorti mes mémoires, « Sonic Life: A Memoir », dans lesquelles je reviens sur ma jeunesse. Ce n’était pas tant par nostalgie que pour retracer les éléments qui m’ont poussé à me consacrer à la musique. Je voulais évoquer l’atmosphère de cette époque et tout ce qui a conduit à la création de Sonic Youth.
Un carnet de voyage personnel
Il est intéressant de parler de tous ces gens et de toutes ces choses, mais gardons les passages dans lesquels j’interviens. Cela m’a permis de créer une sorte de carnet de voyage.
Une image de teenager ultime
À ceux qui disent que je représente encore le teenager ultime, je réponds que parfois j’ai besoin d’aide pour me lever et que mes os sont de plus en plus fragiles. J’espère avoir encore la mentalité d’un adolescent, mais mon corps me dit le contraire.
Des sorties à ne pas manquer
Flow Critical Lucidity (Daydream Library Series). Sortie le 20 septembre.
Sonic Life: A Memoir, de Thurston Moore (Doubleday), 496 p., 23,96 €.